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semblables. La difficulté augmenterait a fortiori s’il s’agissait de quelque œuvre spirituelle. Qui peut dire ce qu’un Gœthe a dû à ceux-là mêmes dont il exprimait la pensée obscure, et ce qui n’est dû qu’à lui ? Rien n’est donc plus malaisé que de démêler, dans ce perpétuel échange d’influences qui constitue la vie, ce qu’apporte et ce que reçoit chacun, de fixer sa créance et sa dette. Le bilan individuel est, à vrai dire, impossible à dresser. « Il est impossible à qui que ce soit sur la terre de foire le compte de qui que ce soit. »

Toutefois, du milieu même de cette impuissance, une constatation surgit, qui s’impose à notre attention et va commander à notre action : et c’est qu’en matière de dette sociale, il existe des classes. C’est que s’il est impossible d’évaluer dans le détail ce que doit tel ou tel individu, il est impossible aussi de méconnaître que, dans l’ensemble, telle catégorie d’individus doit singulièrement plus à la société que telle autre ; et que, du même mouvement par lequel elle élève celle-là, la solidarité abaisse et écrase, en quelque sorte, celle-ci. C’est à cette vérité que se sont heurtés les propagateurs de la doctrine, lorsqu’ils ont voulu la porter dans le monde des prolétaires. On leur a fait comprendre qu’il y a toute une série d’excep-