Page:Bouglé - Solidarisme et libéralisme, 1904.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
18
solidarisme et libéralisme

cette production de la justice, il ne suffit pas de rappeler aux hommes qu’ils dépendent en fait les uns des autres. Cette simple constatation resterait moralement inefficace, si elle ne rencontrait dans les âmes certains sentiments préalables, seuls capables de transmuer le plomb des faits dans For des bonnes intentions. Essayez de troubler tel « Lucullus » dans ses orgies en lui représentant la somme d’efforts que ses semblables dépensent pour son plaisir, il vous répondra peut-être avec tranquillité : « Ils peinent et moi je jouis, c’est une division du travail comme une autre. L’humanum paucis vivait genus n’est pas une négation, mais, ce qui est tout différent, une exploitation de la solidarité. Ceux qui s’en tiennent à cet adage ne contestent nullement l’interdépendance des hommes ; mais ils trouvent naturel qu’une minorité en recueille seule tout le bénéfice. Les conséquences que les différents esprits s’apprêtent à tirer de la loi naturelle de la solidarité dérivent donc de leur orientation intime. Le fait ne joue ici que le rôle de l’archet, et c’est surtout de la nature et de la tension des cordes que dépend l’harmonie.

Ainsi les solidaristes se trouvaient amenés à distinguer radicalement entre la solidarité de fait et la solidarité de droit, entre la solidarité fatale et la solidarité voulue, entre