Par un autre côté encore les théories de Cournot sont propres à limiter les explications individualistes. C’est que nul n’a plus insisté sur ce que, en thèse générale, l’individu doit à la société. « L’âme est fille de la cité » ; — « la raison est un produit autant qu’un facteur de la civilisation », les formules de ce genre que nous entendons répéter aujourd’hui sont autant de variations sur un thème déjà magistralement développé par Cournot. À ses yeux il y a une disproportion entre l’organisme individuel et les facultés individuelles : c’est qu’entre les deux un médiateur s’est interposé, qui « n’est autre que le milieu social, où circule cette vie commune qui anime les races et les peuples ». Comte avait donc tort, pense-t-il, de présenter la psychologie comme une branche des sciences biologiques : c’est bien plutôt la sociologie qui lui fournira de la sève. L’individu isolé n’est qu’une abstraction : « l’homme, tel que les philosophes le conçoivent, est le produit de la culture sociale[1] ».
Il n’est donc pas étonnant que Cournot veuille qu’on recherche, jusque dans le génie des hommes qui sortent du commun, les marques de cette culture et du milieu qui la leur a transmise. Il ira jusqu’à dire que les préoccupations et les habitudes qui régnaient dans les universités anglaises du XVIIe siècle, mieux que quelques détails de la structure de son cerveau, expliquent le tour d’esprit de Newton. Plutôt que le produit de la combinaison de quelques éléments anatomiques, Homère nous apparaît comme le reflet de la vie sociale des Hellènes de son temps. Bossuet est un « fils de l’Église » plus
- ↑ Traité, I, p. iv ; II, 2 ; Matérialisme, 192.