Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/91

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
L’HISTOIRE ET LA SCIENCE SOCIALE

des lois qui mériteraient le nom de lois rationnelles ? La présence de la donnée historique n’est pas exclusive de la théorie. L’astronomie en est le plus bel exemple qui, sans doute, reste par un côté, selon l’expression de Laplace, un problème de mécanique céleste, et qui cependant doit accepter, à titre de faits inexplicables rationnellement, un certain nombre de « collocations », comme dit Stuart Mill, certains rapports donnés de distances et de masses sans lesquels les planètes n’auraient pu suivre la courbe déterminée qu’elles ont suivie. Au vrai toutes les sciences théoriques qui s’appliquent au réel n’ont-elles pas à tabler de la sorte sur un minimum de données historiques[1] ? Cela même explique que les sciences cosmologiques puissent, au moins sur quelques points et en quelque mesure, devenir théoriques.

Il faudrait donc, si l’on veut comprendre pleinement la pensée de Cournot et en mesurer les conséquences, se garder de s’arrêter, comme à une opposition irréductible, à la distinction qu’il propose entre les sciences de la nature et celles du cosmos. Au fond toute science des phénomènes a affaire par un côté à celui-ci, par un côté à celle-là. Il y a du théorique partout, et de l’historique partout. Il reste que la proportion des deux éléments varie grandement. Mais les sciences mêmes qui ont à tenir le plus de compte des hasards ont aussi,

  1. Sur ce point, il semble qu’on puisse saisir un progrès dans la pensée de Cournot. Dans son dernier ouvrage (Matérialisme, p. 73), il n’affirme plus aussi nettement que les sciences physiques et chimiques aient le privilège de se passer de tout élément historique. En tout cas, il eût été prêt à accepter les expériences et les théories récentes qui rendent, même dans l’ordre de ces sciences, son importance à cet élément.