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LA SOCIOLOGIE POPULAIRE ET L’HISTOIRE

La philosophie des Déracinés, de M. Barrès, est un peu simple, précisément parce qu’il fait trop d’honneur aux professeurs de philosophie. À la morale de Kant enseignée dans les classes il semble attribuer la capacité de produire un mouvement de centralisation et d’individualisme dont, à bien compter, il faudrait rendre responsable l’histoire de France tout entière, et le progrès même de la civilisation. Mais plus d’une observation exacte vient heureusement, dans le livre même, en corriger la thèse maîtresse. C’est ainsi que vous y trouveriez, entre cent remarques sur l’atmosphère surchauffante et brûlante des grandes villes, opposée à l’air calmant et purifiant des petites cités provinciales, une analyse méthodique des effets auxquels nous faisions plus haut allusion, et qui sont propres à la constitution de nos établissements d’enseignement secondaire. De même, dans la Force, de M. P. Adam, vous rencontreriez, au milieu des tableaux militaires, mille détails accumulés pour prouver le surcroît d’énergie qu’apporte à chacun des cavaliers l’unité physique et morale de l’escadron, à chacun des soldats de la République, la force de la nation même. Dépouillez les chroniques, les articles de critique d’art ou de critique dramatique, et vous y glanerez presque sûrement quelque remarque analogue. En vérité, pour qui sait la reconnaître sous ses déguisements divers, il est évident que de nos jours la sociologie court les rues.

Mais serait-ce là un privilège de nos jours ? On ne parlait pas tant autrefois des choses sociales ; sans doute on ne les observait pas moins. Les dictons en font foi, où l’expérience des peuples s’est condensée, et comme cristallisée. La populace romaine ne répétait-elle