Page:Bouglé - Qu’est-ce que la sociologie ?, 1921.djvu/48

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

de droits, de mœurs, d’économies absolument semblables ? Il serait étonnant qu’il en fût autrement : bien des influences, toutes celles de la nature d’un côté, toutes celles de l’esprit de l’autre, ne sont-elles pas capables tantôt de seconder, tantôt aussi de contrarier l’influence des formes sociales ?

Sans doute, mais la constatation de ces « interférences » n’est pas faite pour rebuter la sociologie : chaque science ne se contente-t-elle pas d’étudier un côté des choses ? Tocqueville, qui faisait de la sociologie avant la lettre, prenait la précaution de rappeler, au moment d’analyser l’influence de l’égalité sur la vie américaine tout entière, qu’il était loin de tenir l’égalité pour l’unique cause de tout ce qui arrive en Amérique. « Je n’ai pas entrepris, ajoutait-il, de montrer la raison de tous nos penchants et de toutes nos idées ; j’ai seulement voulu faire voir en quelle partie l’égalité avait modifié les uns et les autres. » Ainsi la sociologie n’entreprend pas de montrer la raison de tous les phénomènes historiques, elle veut seulement faire voir en quelle partie les formes sociales les modifient. Elle reconnaîtra volontiers que de nombreuses causes, matérielles ou idéales, concourent aux transformations de la société, car elle borne son ambition à connaître systématiquement une d’elles. En un mot, elle ne prétend pas être, à elle seule, la philosophie de l’histoire ; elle voudrait être, plus modestement, une science sociale.

Pour mériter ce titre, il ne faudra pas sans doute