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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

presque à la désorganisation. Au principe italien de l’individualisme, père de la cantate et du récitatif, on oppose le principe allemand de la pluralité, père de la fugue, de la symphonie, du drame populaire : c’est la musique-foule, suivant les expressions d’Amiel, qui se substitue à la musique-individu, comme la démocratie à l’aristocratie. Et il est loisible de juger exagérée telle ou telle de ces affirmations : il n’en faudra pas moins avouer, si l’on considère dans leur suite la monodie antique, la polyphonie du moyen âge, la mélodie des grands siècles italiens, la symphonie moderne, que leur succession même révèle de certaines correspondances entre les formes sociales et les catégories esthétiques.

Tous ces exemples, pris au hasard de l’histoire, suffisent à donner une idée du nombre considérable de relations qu’on pourrait découvrir entre les « formes » de la société et ses « matières », entre les différents rapports qui unissent les individus et leurs activités différentes. Une fois les formes sociales classées, étudier, sur une branche prise à part de nos activités, les effets produits par leurs différentes espèces, — ou inversement, une de ces espèces étant prise à part, étudier les effets qu’elle produit sur les différentes branches de nos activités, — voilà des tâches sociologiques.

Mais admettons que ces tâches difficiles soient enfin achevées : suffirait-il donc de réunir un certain nombre d’individus, pendant un certain laps de temps, et suivant une certaine hiérarchie, pour obtenir une symphonie comme celles de Beethoven ou des dogmes comme ceux du christianisme ? Bien plus, l’histoire ne rencontre-t-elle pas des sociétés également denses ou également hétérogènes qui ne jouissent cependant pas