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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

ses pensées, ce n’est pas lui, mais bien plutôt le « monde » qui en décide. Le motif des exercices auxquels notre soldat est soumis, nous ne le trouvons pas dans les sentiments qui lui sont particuliers, mais dans les besoins de « l’Armée ». Seule enfin l’existence de « l’Église » donne un sens aux processions de nos dévotes. La plupart de nos façons d’agir n’ont, ainsi, de raison d’être que dans et par la société. Les passants de ma rue ne s’habilleraient pas, ne marcheraient pas, ne sentiraient pas, ne penseraient pas comme ils pensent, sentent, marchent et s’habillent, s’ils n’étaient ouvriers ou orphéonistes, hommes du monde ou militaires. C’est-à-dire que, pour m’expliquer leurs qualités, extérieures ou intérieures, j’ai dû me demander quels rapports ils soutiennent avec d’autres individus. Qu’il s’agisse d’une église ou d’un club, d’une famille ou d’une armée, ces rapports prouvent, par les modifications qu’ils imposent aux individus, leur réalité propre.

Que ce soit émotion passagère ou influence durable, règle expressément formulée ou seulement sentie, obligation ou imitation, amour ou haine, partout où, de la coexistence des individus, si peu nombreux qu’ils soient, naissent des phénomènes nouveaux, et qui ne fussent pas nés sans cette coexistence, un champ est ouvert à la sociologie ; je puis étudier à part les phénomènes proprement sociaux.

Voilà bien, dira-t-on, l’ambition sociologique ! Étudier la société à part. En dehors des individus, sans doute ? Mais, en dehors des hommes du monde, montrez-nous « le monde » ! Les soldats ôtés, où est « l’armée » ? Sans les fidèles, qu’est-ce que « l’Église » ? Mythologie, mysticisme, littérature ? Et, sans aucun