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QU’EST-CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

riers, cercles de fleurs, tressés par les mains des poètes, les liens sociaux revêtiront à nos yeux les apparences les plus variées.

Par quelles propriétés communes, malgré cette variété d’apparences, sont-ils tous également objets de la sociologie ? c’est ce qu’il faut d’abord discerner.

Poserez-vous, pour être sûrs d’englober les différents échantillons de sociétés que vous avez aperçus, qu’une société existe partout où se trouvent des individus assemblés ? Cela dépend de ce qu’on entend par « assemblés ». Voulez-vous dire seulement des individus « juxtaposés », et par exemple, assis par hasard les uns à côté des autres dans une diligence ? Cette juxtaposition ne suffit pas à constituer une société. Si elle n’a rien changé à l’état d’esprit des individus, et que chacun d’eux continue de penser comme s’il était seul, alors la psychologie individuelle suffit à expliquer ce qui se passe en chacun d’eux ; la sociologie n’a rien à faire ici.

Mais qu’un incident quelconque, l’apparition d’une escopette calabraise, ou simplement la vue d’une diligence rivale fasse battre les cœurs à l’unisson, tende les pensées vers une même fin, organise les activités, alors une société est née. Des phénomènes nouveaux se sont dégagés du contact des individus. Ainsi, suivant Claude Bernard, quand on réunit des éléments physiologiques on voit apparaître des propriétés qui n’étaient pas appréciables dans ces éléments séparés. En un mot, la société manifeste son existence par les phénomènes dont l’individu est le théâtre sans en être, dirait un philosophe, la raison suffisante. La coupe de la redingote de notre homme du monde, comme le tour de