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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

naissent ces crises périodiques où l’on voit, suivant l’expression de Fourier, la pauvreté naître de la surabondance même. C’est « l’anarchie économique ». Elle est la preuve que la division du travail livrée à elle-même est capable de bouleverser par de brusques secousses le monde qu’elle supporte. En développant ces remarques, le socialisme faisait à la division du travail, à propos des choses de l’industrie, le même procès que lui faisait le positivisme à propos des choses de l’esprit. Il appelait l’attention sur la nécessité du travail de direction, et montrait que, faute d’organes consacrés à cette tâche, la spécialisation des industries célébrée par les économistes pouvait aboutir à des résultats désastreux.

Mais où le socialisme trouve des raisons de pousser beaucoup plus loin le pessimisme, c’est lorsqu’il attire le regard non plus seulement sur les produits et leur répartition, mais sur les producteurs eux-mêmes et la situation que leur crée le travail dans la fabrique. Suivant lui en effet, non seulement le travailleur souffre indirectement, dans la société, du caractère « inorganisé » mais il souffre directement, dans l’atelier, du caractère mécanique de la grande industrie. Il n’est pas seulement en butte aux contre-coups de ces crises, qui lui imposent les longs chômages ou les brusques changements de métiers ; mais, lors même qu’il trouve l’emploi de ses forces, il est asservi à des besognes monotones, fastidieuses, déprimantes qui, comme elles exigent de moins en moins d’apprentissage, exigent de moins en moins d’initiative. Les travaux qu’on lui demande n’ont plus à aucun degré le caractère de l’art ; il n’est plus lui même qu’une sorte d’appendice de la