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QU’EST CE QUE LA SOCIOLOGIE ?

lement rare, et longtemps solennel. Jusqu’au moyen âge, on a pu dire qu’on n’achetait qu’à la dernière extrémité. Et ainsi faudrait-il conclure, s’il est vrai que la division du travail est étroitement liée à l’échange, que bien loin d’être un phénomène économique universel et élémentaire, la division du travail n’est elle-même qu’un phénomène « historique ».

Mais cette intime liaison de concepts, entre la division du travail et l’échange, est-elle recevable ? Cédant à leur tendance individualiste, les économistes classiques nous montrent la division du travail instituée en quelque sorte délibérément, après débat et accord, par les échangistes. Mais c’est prendre sans doute, — comme le disait Rodbertus en parlant de Bastiat, — un accident pour l’essence ; c’est ériger à la dignité de forme naturelle et unique une des formes particulières et peut-être récentes de la division du travail. En fait, le travail se divise là même où les individus ne connaissent pas l’échange proprement dit ; et il n’attend pas pour se diviser qu’ils aient mesuré leurs intérêts : la sphère de la division du travail est singulièrement plus vaste que celle des calculs utilitaires. Elle s’étend jusqu’aux sociétés les plus simples, et jusqu’aux êtres vivants.

La conception d’Adam Smith est donc en réalité trop étroite. Il n’a vu qu’un des milieux et une des formes de la division du travail ; et nous comprenons aujourd’hui qu’il faut les passer tous et toutes en revue, si l’on en veut obtenir enfin une théorie à la fois précise et complète.

Dans cet élargissement de nos recherches sur la division du travail on a voulu voir une des preuves de