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L’HISTOIRE ET LA SCIENCE SOCIALE

logique ne vaut que provisoirement, ne s’applique qu’à une phase déterminée de l’existence des sociétés, ne convient qu’à leurs formes primitives. Au fur et à mesure qu’elles se développent il se révèle qu’elles sont des mécanismes, en même temps que des organismes, et qu’à vrai dire la part du mécanique, de plus en plus, l’emporte sur la part de l’organique[1]. Ne voit-on pas les différents organes de la vie collective perdre en quelque sorte leurs qualités d’organes pour prendre l’aspect d’instruments ? À ce compte ils deviennent, comme les instruments mêmes, capables d’un progrès indéfini. Leurs éléments échappent à cette nécessité du déclin qui est comme la rançon de la spontanéité de la croissance. Mais en même temps qu’ils deviennent plus maniables, plus utilisables à la raison, ils sont privés de cette beauté plastique qui est le cachet de la nature vivante. « Les langues fixées par l’écriture, par l’imprimerie, par la législation grammaticale, par les institutions pédagogiques et par toutes celles qui s’y rattachent deviennent les instruments d’une civilisation avancée et capable d’un progrès indéfini, sous la condition de poursuivre le vrai, l’utile plutôt que le beau[2]. » Le droit, de même, perd de son originalité primitive ; ses formes solennelles étaient intimement liées aux instincts des consciences populaires. Au fur et à mesure que la force plastique de ces instincts diminue, — neutralisés qu’ils sont par la fusion même des premières sociétés, — « le droit se dépouille de ce qu’il avait de plus original, mais aussi de plus rigoureux, il devient plus flexible et

  1. Traité, II, 17.
  2. Traité, II, 112.