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que la sélection naturelle. Les nouvelles formes de compétition qu’elle met en jeu sont de moins en moins sanglantes. En général, le mâle vaincu est simplement privé de la femelle ; ou il est réduit à se contenter d’une autre plus tardive et moins vigoureuse ; ou il en trouve moins s’il est polygame. Le moins apte, ici, est donc rarement condamné à mort ; il est seulement gêné ou retardé dans la satisfaction d’une tendance moins impérative que le besoin d’aliments.

Mais de plus et surtout la sélection sexuelle s’opère d’une manière moins mécanique. Ce ne sont plus seulement des forces aveugles qu’elle met en œuvre. Dans une nuit de gelée, si l’on peut dire que la mort choisit entre les fleurs, c’est par manière d’image. Mais lorsque nous disons que l’amour choisit entre les passereaux et les faucons mâles, il y a plus qu’une métaphore. Car l’amour ici est personnifié, incarné en des êtres concrets dont les affinités ou les répugnances entrent en ligne de compte. Une sorte d’unisson des représentations précède ici et prépare l’union des corps. Pour le « conquérir » il faut que l’être agisse sur la conscience d’un autre être. Et en ce sens c’est vraiment une nouvelle méthode qui entre en jeu dans l’évolution. De la méthode de la survivance on passe à la méthode de la préférence. D’automatique la sélection devient consciente[1].

Sur ce terrain nous voyons décroître la distance qui séparait l’opération de la nature de l’opération de l’homme. La sélection sexuelle est une espèce de sélection artificielle. C’est de « l’auto-réglementation », de « l’auto-perfectionnement[2] ». L’espèce elle-même, dirige, dans une certaine mesure, sa propre destinée. La sélection des mâles par les femelles, déclare Darwin[3], est analogue à celle que l’homme exerce

  1. Cf. Morgan, Habit, p. 270, 274.
  2. Ce sont les expressions de Unbehaun, Versuch, p. 106, en note.
  3. Descend., II, p. 433. Cf. Geddes, Sexe, p. 34. Richard, Évol., p. 72.