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pas douteux que l’exercice des fonctions sociales qui leur sont réservées n’exténue les classes déshéritées par le surmenage physique[1].

Ces fonctions sont en tout cas singulièrement dangereuses. Représentons-nous le triste cortège des filles de l’usine moderne, songeons, non pas seulement aux accidents, mais aux maladies qu’entraîne quasi-fatalement le travail dans les poussières, minérales ou métalliques, le travail devant les feux ou le travail à l’humidité, — de l’anthracose pulmonaire ou intestinale au saturnisme, et du mercurisme à la nécrose, — et nous comprendrons qu’on est d’ordinaire, dans le monde du travail, singulièrement plus exposé qu’ailleurs. Celui qui naît prolétaire naît aussi, a-t-on dit, avec un moindre crédit sur la vie. Et il semble bien, — si délicate que soit en pareille matière l’interprétation de leurs données, — que les statistiques de la mortalité professionnelle en apportent la preuve. En Suisse, d’après Kummer, la mortalité dans les professions manuelles, est, pour mille vivants, de 13,1 entre 30 et 39 ans, de 19,8 entre 40 et 49 ans, de 33,7 entre 50 et 59 ans, de 67,7 entre 60 et 69 ans. Elle ne serait aux mêmes âges, dans les professions libérales ; que de 11,59 — 15,99 — 30,49 — 63,43. En Angleterre, d’après Ogli, des proportions analogues se retrouvent : dans la classe ouvrière 9,58 morts de 26 à 45 ans, — 26,76 de 45 à 65 ans, — en tout 18,17 de 25 à 65 ans. Aux mêmes périodes le taux des morts dans les professions libérales n’atteint que 8,96 — 24,44 — 16,70[2]. Il est donc permis de dire que l’infériorité sociale accroît la mortalité ; la misère économique se traduit en misère physique : le paupérisme appauvrit la race.

Il est vrai que cette mortalité plus grande des classes

  1. Cf. Carl Jentsch, Sozialauslese, p. 214 sqq.
  2. Relevé par Layet, dans l’Encyclopédie d’hygiène, de Rochard, t. VI, p. 776.