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LA HIÉRARCHIE DES CASTES ET LE SACERDOCE

C’est une religion accueillante, et nullement intolérante. « Tout y entre et rien n’en sort. » Son panthéisme s’ouvre aisément à toutes les créations du polythéisme : les dieux les plus variés y trouvent place, en devenant les avatars des dieux traditionnels[1]. Si bien que, lorsqu’on veut définir en termes de dogmatique la vraie religion des Hindous, on se trouve fort embarrassé ; on remarque qu’elle ne connaît pas, à vrai dire, d’orthodoxie, qu’elle se définit par les rites plutôt que par les dogmes, par les pratiques plutôt que par les idées, et qu’en somme le respect des Brahmanes, uni à l’observance des coutumes de la caste, constitue l’essentiel de l’hindouisme. Comme une religion sans Église, on pourrait donc presque dire que le brahmanisme est une religion sans dogme.

Par là s’expliquent les discussions auxquelles on s’est livré sur le caractère « missionnaire » ou « non missionnaire » de la religion brahmanique[2]. L’idée qu’il existe une vérité religieuse bonne pour tout le monde, et qu’il faut propager aussi loin que possible, paraît étrangère au Brahmane[3]. Il admettrait plutôt que chaque race a ses

  1. Ainsi le porc adoré par certaines tribus aborigènes devient un avatar de Vishnou. On trouverait de nombreux exemples de cette « brahmanisation des cultes » dans Crooke, Risley, Lyall (op. cit.). Barth fait remarquer à ce propos la commodité de la théorie des Avataras : elle permet de concilier l’aspiration à un certain monothéisme avec l’irrésistible penchant pour les cultes multiples (Religions of India, p. 101). Monier Williams (Modern India and Indians. Londres, Kegan Paul, 5e édit., 1891, p. 230) va jusqu’à dire, en s’appuyant sur ces faits, que le panthéisme des Hindous n’est qu’une façade pour leur polythéisme. Cf. Hopkins, Religions of India. Londres, Ginn, 1898, p. 361 sqq.
  2. Voy. Lyall contre Max Müller, Mœurs religieuses et sociales de l’Extr.-Or., ch. V. Cf. Schlagintweit, art. cit., p. 568. Risley, op. cit., I, p. xvi-xx.
  3. Voy. ce que dit Bernier (Voyages, II, p. 138). « Quand je leur disais sur cela que dans les pays froids il serait impossible d’observer leur loi pendant l’hiver, ce qui était signe qu’elle n’était qu’une pure invention des hommes, ils me donnaient cette réponse assez plaisante : qu’ils ne prétendaient pas que leur loi fût universelle, que Dieu ne l’avait faite que pour eux, et c’était pour cela qu’ils ne pouvaient recevoir un étranger parmi leur religion, qu’au surplus ils ne prétendaient pas que la nôtre fût fausse, qu’il se pouvait faire qu’elle fût bonne pour nous. »