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LA HIÉRARCHIE DES CASTES ET LE SACERDOCE

pas admise sans discussions[1]. L’Épopée rappelle les violences exercées sur les prêtres par les mauvais rois, comme Vena ou Nahusha. S’il faut en croire l’histoire de Paraçurâma, des guerres sanglantes auraient marqué la rivalité des deux classes[2]. Les Upanishads témoignent en tout cas que leurs fonctions ne furent pas toujours aussi strictement spécialisées que veut le faire croire la théorie brahmanique. On y voit des Kshatriyas rivaliser de science avec les Brahmanes, et même se faire leurs précepteurs[3]. Ailleurs, des fils de rois, comme Viçvâmitra, deviennent Brahmanes à force d’austérité. Toutes ces légendes témoignent qu’il fallut du temps pour que les rangs fussent nettement fixés en même temps que les attributions définies. Mais la balance des privilèges devait définitivement pencher en faveur des Brahmanes.

Non qu’ils aient jamais pris en main le pouvoir temporel. Né pour la fonction religieuse, le Brahmane ne peut exercer directement les fonctions politiques. De même, la caste brahmanique n’accumulera pas les richesses, comme font souvent les classes sacerdotales ; elle ne possédera rien en propre. Les instruments du sacrifice sont ses seules armes[4], mais avec ces armes elle se soumettra tout le monde hindou. Le purohita, le chapelain grandit aux côtés du roi et bientôt le dépasse, par cela même qu’il monopolise les offices religieux. C’est le prêtre qui sacre le roi et le présente au peuple en disant : « Voici

  1. D’après Weber (Indische Studien, X, p. 26-32), il est aisé de voir que les rapports des deux puissances, qu’il appelle le sacerdotium et l’imperium, ne furent pas toujours très amicaux. Tantôt elles s’entr’aident, tantôt aussi elles se tiennent en échec. On emploie des formules subtiles pour ne donner la prééminence absolue ni à l’une ni à l’autre. Cependant, en dernière analyse, la supériorité reste au Brahmane : il peut exister sans le Kshatriya, non le Kshatriya sans lui.
  2. Voy. Senart, p. 168.
  3. Voy. Regnaud, Matériaux pour servir à l’histoire de la philosophie de l’Inde. Paris, Vieweg, 1876, p. 55-60. Fick, Die Sociale Gliederung, p. 42. V. plus bas, p. 259.
  4. Cité par Weber, Ind. Stud., X, p. 30.