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L’OPPOSITION DES CASTES ET LA FAMILLE

le culte de l’ancêtre semble inconnu à la caste ; on voit les membres d’une caste adorer l’instrument de leur profession, on ne les voit pas sacrifier à un héros éponyme[1] : n’est-ce pas étrange, si la caste n’est que la famille prolongée ? – M. Senart peut répondre sans doute que, à défaut du culte d’un héros éponyme, les souvenirs ou les légendes des castes prouvent que la plupart d’entre elles ont un sentiment net de leur cohésion généalogique ; qu’au surplus, ce culte pourrait s’être graduellement éteint dans la caste après en avoir été, cependant, la flamme créatrice[2]. Mais l’absence de ce culte n’apparaît-elle pas plus naturelle, si l’on envisage la caste comme une synthèse de plusieurs lignées, plutôt que comme le prolongement d’une lignée unique ?

Une objection plus grave s’oppose d’ailleurs à cette dernière manière de concevoir les rapports de la caste et de la famille.

Discutant la théorie de M. Senart, M. Dahlmann oppose radicalement la caste à la gens.[3] On soutient que les règles de la caste couvrent « exactement tout le domaine du vieux droit gentilice » ; mais ne trouve-t-on pas celles-là, sur un point important, exactement contraires à celui-ci ? La caste, a-t-on dit, est affaire de mariage : ce sont surtout les lois du mariage qui séparent à jamais les castes. Or la caste n’entend pas du tout ces lois comme les entendait la gens. La gens interdisait à ses membres de se marier entre eux ; la caste le leur prescrit. L’une est aussi rigoureusement exogame que l’autre est endogame.

  1. Voy. Nesfield, Caste System, p.92 sqq.
  2. Page 70. Cf. Hearn, The Aryan Household, p. 121,210. « Dans l’altération des conditions sociales, dit Lyall (op. cit., p. 379), il devient impossible que les groupes apparentés continuent de se rattacher les uns aux autres par la descendance d’une souche commune. La foule s’adonne à des occupations diverses, s’installe en divers endroits, contracte des mariages étrangers, adore de nouveaux dieux ; les hauts et les bas d’une existence plus compliquée brisent la généalogie, relâchent les liens du sang, effacent le nom patronymique… »
  3. Das Altindische Volkstum, p. 56 sqq.