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L’OPPOSITION DES CASTES ET LA FAMILLE

uns ni des autres. Lorsqu’ils se sont rencontrés, il est probable qu’Aryens et Aborigènes étaient les uns et les autres divisés en tribus ; leur choc a sans doute redoublé l’intensité de cette répulsion pour l’étranger dont chacun de ces groupes primitifs portait en lui le germe. Mais on ne peut dire que cet esprit de division et d’opposition mutuelles, qui devait pénétrer toute l’organisation de l’Inde, lui ait été apporté par une race plutôt que par une autre. Presque toujours, lorsqu’on fait l’histoire d’une institution, on commence par la considérer comme l’apanage d’une race. Mais presque toujours aussi, à mesure que la recherche s’étend, la race se trouve dépossédée : on s’aperçoit que l’institution est plus commune qu’on ne le croyait. Ainsi on a depuis longtemps démontré que le wergeld n’était pas spécial aux Germains[1] ; on démontre aujourd’hui que la communauté domestique se retrouve chez les peuples anaryens aussi bien que chez les aryens[2]. De même s’il s’agit des castes, il faut se garder du « mirage aryen ». Pour s’expliquer les usages qui fragmentent encore aujourd’hui le peuple hindou, il n’est pas nécessaire de les considérer comme les conséquences directes d’une croyance proprement aryenne ; ils sont des survivances et comme des pétrifications extraordinaires de coutumes religieuses très générales[3].

M. Senart nous met avec raison en garde contre les théories « trop compréhensives »[4] ; avec raison, il souhaite que l’on substitue, aux filiations vagues, des enchaînements historiques, des déterminations précises. Mais il

  1. Cf. Dareste contre Haxthausen, Études d’histoire du droit, p. ix-xi.
  2. G. Cohn, Gemeinderschaft und Hausgenossenschaft, 1899.
  3. V. ce que dit Oldenberg (La Religion du Véda, p. 32) des liens de l’indianisme avec les religions primitives. Crooke (Tribes and Castes of the N. W. Prov., I, p. 58) et Frazer (Golden Bough, II, p. 342, sqq.) s’efforcent de relever sur un certain nombre de cérémonies brahmaniques les traces laissées par les pratiques primitives. Cf. Lang, Mythes, cultes et religions, ch. III, VIII, xvi, trad. franç., Paris, F. Alcan, 1896.
  4. Op, cit., p. 203.