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LA SPÉCIALISATION DES CASTES ET LA GHILDE

nouvelle aboutit souvent à la formation d’une nouvelle caste[1], bien d’autres causes entraînent le même effet. Si beaucoup de castes portent le nom d’une profession, beaucoup aussi portent le nom d’une localité : preuve que, dès la plus haute Antiquité, on s’opposait par « pays » autant que par « métiers »[2]. Dans certains cas, d’ailleurs, nous voyons une caste se constituer sous nos yeux en dehors de toute influence industrielle. Les adorateurs d’un même saint, les partisans d’un même prophète s’unissent parfois en un cercle étroit et fermé, qui ne se laisse plus couper par aucun autre cercle[3] : une caste est alors née d’une secte et non d’une corporation.

Mais, d’abord, le fait que les membres d’une même caste exercent parfois des métiers différents ne suffit pas à ébranler la thèse. Nous avons vu que les changements de métiers – fréquents surtout, d’ailleurs, dans les castes que leur situation privilégiée met au-dessus de la loi commune – n’en laissent pas moins subsister la règle, que chaque caste doit avoir son métier : les exceptions n’effacent pas l’obligation. Si donc, encore aujourd’hui, il reste vrai d’une manière générale que la profession entraîne la caste, l’hypothèse d’une liaison originelle entre ces deux termes reste licite. La corporation peut avoir été la racine de la caste.

  1. C’est ainsi que les Peshirajis, qui ont pris la profession de carriers, se détachent de leurs parents les Ahirs qui restent pasteurs : les Rajs, maçons, se distinguent des Sangtarash, tailleurs de pierre. Les Bagdis se sont divisés en Dulias, porteurs de palanquins, Machuas, pêcheurs, et Matials, puisatiers. Cf. Nesfield, op. cit., p. 91. Risley, Tribes and Castes of Bengal, I, p. lxxii.
  2. Les Dogras sont ainsi nommés d’une vallée du Cachmir, les Sarujuparias, de la rivière Saruju, les Brahmanes Sarswats du Penjab, de la rivière Sarswati, etc. Cf. Jogendranàth Bhattacharya, op. cit., p. 50,55. Risley (op. cit., I, p. 47)> cite le cas des Baidyas, divisés en quatre sous-castes, qui correspondent aux diverses parties du Bengale où résidaient leurs ancêtres.
  3. Cf. Lyall, Études sur les mœurs religieuses et sociales de l’Extrême-Orient (trad. fr.), ch. vii.