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INTRODUCTION

gues nous invitent à suspecter. Critiquant la théorie brahmanique des castes, M. Senart en dénonce les incertitudes et les flottements : sur plus d’un point, on s’aperçoit qu’elle masque et fausse la réalité plutôt qu’elle ne la reproduit[1]. S’agit-il en particulier de la quantité des castes, les codes sacrés, aussitôt après avoir affirmé qu’il n’y en a que quatre, en reconnaissent implicitement un nombre considérable. La « théorie des castes mêlées » nous présente, en effet, un certain nombre de castes, déchues, comme résultant d’alliances illégitimes entre les castes pures. Mais cette théorie est visiblement une théorie construite après coup, pour expliquer ce qu’on ne pouvait nier, elle est un aveu de la multiplicité des castes données dont les noms, géographiques ou professionnels, trahissent pour la plupart une origine très ancienne[2]. Si d’ailleurs, pour éprouver la véracité des codes brahmaniques, on consulte la littérature bouddhique, on trouvera sans doute la théorie des quatre castes mentionnée, mais à titre de système discuté, plutôt qu’à titre d’image des faits : à travers les légendes du VIe siècle, la société hindoue apparaît déjà divisée en une multiplicité de sections[3]. La littérature sanscrite elle-même ne trahissait-elle pas cette multiplicité ? Jolly, confirmant les vues de Senart, cite plus de 40 noms de « jâtis » qui ne sauraient correspondre à des subdivisions de quatre « varnas » primitifs[4].

L’observation du présent tend d’ailleurs à démontrer que la théorie des quatre castes, le « çaturvarnya » n’a jamais été qu’un idéal, mêlant, à une représentation simplifiée et comme raccourcie de la réalité, des prescriptions souvent violées. On cherche en vain à reconnaître,

  1. Les Castes dans l’Inde, ch. ii.
  2. Cf. Senart, op, cit., p. 121. Max Müller, Essais sur la mythologie comparée, p. 399. Jolly, Zeitschrift der D. Morg. Gesell., Bd. 50, p. 507.
  3. Fick, Die Sociale Gliederang, passim.
  4. Article cité, p. 515.