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INTRODUCTION

soldats, commerçants, cuisiniers[1]. « Pour son ventre il faut jouer bien des rôles », disait l’un d’eux à l’abbé Dubois[2].

Leur supériorité même leur réserve plus de possibilités qu’au commun des mortels. Il est vrai que cette supériorité implique la pureté, et que le souci de rester pur exclut bien des modes d’action. La doctrine de l’Ahimsa, qui défend de blesser la moindre créature vivante, n’interdit-elle pas au prêtre d’éventrer le sol avec le soc de la charrue[3] ? En fait, devant les nécessités matérielles, il fallait bien faire fléchir la rigidité de ces prohibitions. La théorie même en prit son parti : les codes brahmaniques reconnaissent au Brahmane le droit de pratiquer différents métiers en cas de détresse. Si Manou lui interdit formellement le commerce des liqueurs et des parfums, de la viande et de la laine, il lui permet le service militaire, le labour, le soin des troupeaux, un certain nombre d’entreprises commerciales.

À leur tour les membres des autres castes, que ces mêmes codes prétendaient river à l’occupation traditionnelle, devaient prendre, à l’exemple des Brahmanes, plus d’une liberté à l’égard de la règle. Nous notions tout à l’heure que les noms de castes sont d’ordinaire d’anciens noms de professions. Mais ajoutons qu’il est relativement rare que la profession exercée aujourd’hui par une caste soit celle que son nom désigne. Les Atishbaz sont bien, comme leur nom l’indique, artificiers, et les Nalbands maréchaux-ferrants[3]. Mais il n’est pas vrai que tous les Chamars soient aujourd’hui tanneurs, les Ahirs pasteurs, les Banjaras porteurs, les Luniyas fabricants de sel. Les Baidyas forment, suivant la tradition, la caste des médecins.

  1. Senart, op. cit., p. 42 sqq. Cf. Jogendranàth Bhattacharya, op. cit. p. 74, 112.
  2. Op. cit., I, p. 410.
  3. a et b Crooke, The Tribes and Castes of the N. W. Provinces, I, p CXI, IX.