Si ces diverses remarques sont exactes, il est permis de conclure que le théâtre hindou, lui aussi, porte l'empreinte de la caste. Les productions dramatiques dont le nâtaka se rapprochera le plus seront celles qui naîtront dans les milieux intellectuels façonnés pour les besoins d'une aristocratie. Un monde sépare le drame hindou de notre tragédie classique. Celle-ci enferme dans l'âme des héros le débat des idées. Chez celui-là au contraire il semble que la nature domine tout. Et c'est une des raisons sans doute pour lesquelles les romantiques, par opposition au théâtre classique, prônent le théâtre hindou. Il est possible pourtant de relever, entre l'un et l'autre, un certain nombre de traits communs. La tragédie de Corneille et de Racine, elle aussi destinée à une cour royale, séparée de la foule par le choix de ses sujets « s'est piquée de dignité et de noblesse ; elle s'est détournée de la vie réelle et a créé une société de convention avec des types invariables qu'Aristote eût sans doute refusé de reconnaître, mais que Bharata aurait volontiers adoptés » 562.
Comparez au contraire au théâtre hindou le théâtre grec. Là aussi l'émotion religieuse est à la source. Mais bientôt les affluents grossissent le fleuve et modifient son cours. L'énergie individuelle est exaltée. Les gloires nationales sont célébrées. Les questions sociales et morales sont discutées. C'est l'effervescence de la vie de la cité qui a débordé en quelque sorte sur la scène. Mais c'est précisément cette vie, nous l'avons vu, qui manque le plus à l'Inde. Son théâtre aussi révèle, à sa manière, tout ce dont elle a été privée par le seul fait que les clans aryens chez elle, au lieu de se fondre en cités, se sont figés en castes.
D'une manière plus générale, parce que le régime des castes contrarie aussi bien l'émancipation des individualités