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INTRODUCTION

de chercher femme en dehors de son cercle traditionnel ; bien plus, il repousse tout aliment préparé par d’autres que par ses congénères ; le seul contact des « étrangers », pense-t-il, est quelque chose d’impur et de dégradant. Cet homme obéit à l’ « esprit de caste ». Horreur des mésalliances, crainte des contacts impurs, répulsion à l’égard de tous ceux dont on n’est pas parent, tels nous paraissent être les signes caractéristiques de cet esprit. Il nous semble fait pour émietter les sociétés qu’il pénètre ; il les partage non seulement en quelques couches superposées, mais en une multitude de fragments opposés ; il dresse leurs groupes élémentaires les uns en face des autres, séparés par une répulsion mutuelle.

Répulsion, hiérarchie, spécialisation héréditaire, l’esprit de caste réunit ces trois tendances. Il faut les retenir toutes trois si l’on veut obtenir une définition complète du régime des castes. Nous dirons qu’une société est soumise à ce régime si elle est divisée en un grand nombre de groupes héréditairement spécialisés, hiérarchiquement superposés, et mutuellement opposés — si elle ne tolère en principe ni parvenus, ni métis, ni transfuges de la profession — si elle s’oppose à la fois aux mélanges de sangs, aux conquêtes de rangs et aux changements de métiers.

Que cette définition ne fasse pas violence à l’usage courant du mot, on s’en rendra compte, si on la rapproche d’un certain nombre de définitions reçues. La plupart mettent en évidence la liaison de l’idée de caste avec l’idée de spécialisation héréditaire. « La caste est essentiellement héréditaire, dit Guizot[1] : c’est la transmission de la même situation, du même pouvoir de père en fils. Là où il n’y a pas d’hérédité, il n’y a pas de caste. » Suivant Ampère[2], trois conditions sont essentielles à l’existence d’une caste :

  1. La Civilisation en Europe. Paris, Didier, 1882, p. 138.
  2. Comptes rendus de l’Acad. des Inscrip., 1848, cités par Revillaut. Droit égyptien. Paris, Leroux 1884, I, p. 132 sqq.