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LE DROIT

dénoncer. Il importe de remarquer que, lorsqu’on parle d’un pouvoir central fort, comme d’une des causes de la rudesse du droit, on n’entend pas un gouvernement complexe et étendu, dont les fonctions nombreuses et variées s’exerceraient sur tous les points du corps social. L’absence de limites et de contrepoids, voilà l’essentiel de l’absolutisme. – Or n’avons-nous pas vu que précisément cette condition était, mieux qu’ailleurs, réalisée en Inde ? La désunion même à laquelle les castes se condamnent laisse le champ à tous les despotes petits ou grands ; la lourdeur de leur main ne rencontre aucune résistance.

D’ailleurs qui dit gouvernement fort ne pense pas nécessairement au seul pouvoir séculier. S’il est vrai que celui-ci étreint mal la société hindoue et n’y laisse pas une empreinte profonde, nous avons mesuré en revanche à quel point cette société se prête à la mainmise du pouvoir religieux. Tout inorganisée qu’elle est, la classe des prêtres a su imposer à la masse un respect dont ne jouissent pas les tyrans les mieux armés. Tous les tabous qui, dans les sociétés primitives, rendant les rois à la fois adorables et redoutables, en font des espèces d’hommes-dieux 403, on les retrouve concentrés sur la personne sacro-sainte du Brahmane ; et nul mana ne rivalise avec celui qu’on lui attribue. À la société divisée qu’il domine son prestige sert de centre. Les lignes de force qui en rayonnant ordonnent autour de lui toute la poussière des castes. Violer les prescriptions qu’une telle autorité sanctionne, n’est-ce pas commettre une sorte de crime de lèse-divinité qui appelle les châtiments les plus durs ? Contre les sévérités de cet absolutisme, il ne se trouvait pas de démocratie en Inde pour faire entendre la protestation de la « philanthropie ».


Que les castes au contraire fussent bien faites pour

I . C'est le thème qui sert de centre de ralliement aux remarques de Frazer, dans le Rameau d’or.