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LES EFFETS

les sanctions surnaturelles, partout la nécessité se fait vite sentir d’une force visible et pesante, capable d’aider la volonté des dieux à se faire respecter, et de rétablir l’ordre qu’ils prescrivent en réparant leurs erreurs ou leurs omissions. « L’arme du Brahmane est la parole. » Mais si redoutables que soient ses menaces et ses imprécations, elles n’auraient sans doute pas suffi, par elles-mêmes, à maintenir un ordre public : il y fallait des pénalités temporelles, et un pouvoir physiquement capable de les appliquer. De là, vraisemblablement, l’insistance croissante avec laquelle les codes brahmaniques rappellent au roi sa mission de justicier. En l’accomplissant, il gagne autant de mérite que s’il accomplissait un sacrifice permanent ; mais s’il laisse les coupables impunis, que le jeûne le purifie. Gardien scrupuleux des lois, sa renommée s’étendra au loin « comme une goutte d’huile de sésame dans l’eau » ; négligent, elle se resserrera au contraire et se figera « comme une goutte de beurre clarifié ». Le code de Manou en particulier multiplie les recommandations au roi qu’il divinise – on a pu supposer qu’il avait été rédigé pour l’éducation d’un jeune rajah – et nous avons vu qu’il présente comme autant de devoirs royaux tous les droits qu’il énumère. Dans les codes postérieurs, à mesurer le nombre des crimes de lèse-majesté contre lesquels ils défendent la royauté, on sent s’accroître encore l’importance du roi en matière de justice 377.

Mais ce progrès n’enlève rien à la fonction supérieure du Brahmane. Il reste non seulement l’indispensable magistrat auxiliaire du roi, mais encore le jurisconsulte attitré. C’est ici qu’il faut se souvenir de la remarque de M. Lambert 378, sur la nécessité de bien distinguer, quand on suit l’évolution des institutions juridiques, entre le

1. Jolly, R. u. S., p. i6, 127, i32. Kohler, ZV V/?, 1908, p. 188.

2. Ouvr. cit., p. 730.