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LE DROIT

dès ces siècles lointains, les bords du Gange avaient été le théâtre de longues méditations juridiques ». D’ordinaire les divinités offensées frappent en aveugles ; pour détourner leur vindicte on poursuivra, comme les Athéniens le faisaient encore, jusqu’aux objets inanimés. Si, malgré ses origines religieuses, le droit hindou est plus souple et plus nuancé en ces matières, il le doit peut-être aux réflexions de spécialistes qui pouvaient le faire profiter du progrès même de leurs croyances. À cet égard, le dernier livre du code de Manou révèle des préoccupations déjà « spiritualistes ». Il n’est pas étonnant qu’ils veuillent peser les intentions de ceux qui inscrivent au nombre des péchés les mauvaises pensées elles-mêmes, et s’élèvent du souci de la pureté toute matérielle à celui de la pureté intérieure. Il faut ajouter que la doctrine de la transmigration, si elle est en harmonie intime avec le régime des castes 367, s’accorde en même temps avec le sentiment de la responsabilité individuelle. En rappelant à l’homme que sa situation présente dépend de ses actes passés comme sa situation future dépendra de ses actes présents, elle lui ôte sans doute l’envie de protester contre les inégalités sociales, mais elle propage l’idée que du moins à l’intérieur de sa classe, chacun doit être jugé selon ses œuvres ; elle aide ainsi le droit à se dégager décidément de la doctrine des responsabilités collectives.

On peut mesurer par là toute la distance que le sacerdoce brahmanique a su faire parcourir au droit hindou depuis les premières étapes du droit. La forme la plus ancienne de la justice, c’est la vengeance exercée de groupe à groupe. À cet âge, il n’y a pas à proprement parler de crime public ; en tuant par exemple un homme ou en violant une femme, un membre d’un clan a causé un dommage à un autre clan ; celui-ci cherche à réparer ce dommage par une action qui vise non pas seulement ce membre

I. V. plus haut p. 106.