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LES EFFETS

Et certes, en bien d’autres lieux, on a vu les races s’affronter. L’histoire n’est-elle pas, en son fond, une incessante « lutte des races » ? Mais, presque partout, les oppositions cèdent à la longue. L’amour est le plus fort. Dans les histoires sanglantes comme dans les comédies, tout finit par des mariages. C’est ainsi que les peuples conquérants sont le plus souvent comme résorbés par les peuples conquis, les Lombards par les Italiens, les Grecs d’Alexandrie par les Égyptiens, les Normands par les Français. En Inde, les antipathies originelles, réchauffées sans doute par la différence de couleur des races en présence, ont eu la vie plus dure. Elles se sont créé des organes indestructibles. Elles ont sécrété ces formes sociales qui dominent l’Inde encore aujourd’hui. Né de ces répulsions premières, le système des castes les a entretenues pendant trente siècles, pour le bonheur des anthropologistes 299.

Nulle part ailleurs la population n’est aussi nettement divisée, en groupes plus exclusifs, plus fermés, plus hostiles aux for-mariages. C’est donc en Inde surtout que les types ethniques primitifs ont les plus grandes chances de se maintenir distincts, et chacun à son rang. Nulle part ailleurs, d’un autre côté, les métiers n’ont été plus rigoureusement séparés, les spécialisations héréditaires plus soigneusement entretenues. C’est donc en Inde surtout que doit se rencontrer l’accord des fonctions sociales avec les facultés naturelles. Ici du moins nous sommes à l’abri de l’esprit qui bouleverse tout pour tout niveler : les sangs ne se mêlent pas plus que les fonctions ne s’échangent.

Ici par conséquent se révéleront les secrètes harmonies qui, unissant aux diverses formes du corps diverses dispositions de l’esprit, prédestinent les hommes qui ont le corps fait de telle ou telle façon à jouer tel ou tel rôle dans la

I. V. Risley. The Tribes and Castes of Bengal. Tome I, p. 26.