Page:Bouglé - Essais sur le régime des castes.djvu/145

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
LA CASTE ET L’ADMINISTRATION ANGLAISE

une caste ont un avantage commun à ce que le remariage des veuves soit interdit : c’est que, comme le disait un Hindou, ces femmes expérimentées pourraient faire ainsi une concurrence déloyale aux jeunes filles, qu’on a déjà assez de peine à marier.

C’est ici qu’intervient l’influence comprimante de l’hypergamie ; on ne saurait douter en effet qu’elle risque d’augmenter, dans les groupes supérieurs, le nombre des « vieilles filles ». Si les jeunes Brahmanes Kulins peuvent prendre femme indifféremment dans les sections inférieures ou dans leur propre section, il est clair que les jeunes filles de cette section trouveront moins de prétendants : au fur et à mesure que les possibilités de choix s’étendent pour les membres masculins d’un groupe, les chances d’être choisi diminuent d’autant pour les membres féminins de ce même groupe. Ainsi s’expliquerait la facilité avec laquelle l’instinct collectif accepte toutes les raisons qui tendent à exclure les veuves d’un marché matrimonial déjà encombré.

Les mêmes préoccupations rendraient peut-être compte de l’habitude des mariages précoces. Habitude agréable aux parents, a-t-on dit : elle leur évite des difficultés domestiques, les scandales auxquels pourrait donner lieu l’inconduite de leurs filles, ou les contestations de toutes sortes dans lesquelles il faudrait entrer, si elles se mêlaient de choisir elles-mêmes leurs maris ! Mais surtout n’est-ce pas l’inquiétude qu’ils ressentent, en voyant diminuer autour d’eux le nombre des prétendants, qui incite les pères à fiancer leurs enfants aussitôt que possible ? C’est une honte, c’est presque un péché de garder dans sa famille une vierge de vingt ans : le plus sûr moyen d’éviter cet opprobre est de marier ses filles, fût-ce en bas âge, dès que l’occasion s’en présente[1].

Et il est clair que l’hypergamie toute seule ne saurait

  1. Rajputana, XXV, p. 129.