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LA VITALITÉ DU RÉGIME

femmes, se soient définitivement fermés ; représentons-nous cet exemple descendant, comme il arrive, de proche en proche, jusqu’aux castes inférieures elles-mêmes. Nous comprenons dès lors la genèse des prohibitions endogamiques. Le présent de l’Inde nous donne, une fois de plus, la clef de son passé[1].

Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, il y a un certain nombre d’institutions et d’habitudes caractéristiques de la société hindoue, qui continuent de se développer sous nos yeux, et dont le développement s’explique sans doute par les conséquences de l’hypergamie ; nous voulons parler de l’interdiction faite aux veuves de se remarier, et des précautions prises pour marier les enfants de très bonne heure.

Pourquoi s’oppose-t-on si souvent, et de plus en plus, au remariage des veuves ? Les Brahmanes en tiennent des explications toutes prêtes. Ne faut-il pas que la veuve reste veuve pour accomplir le çraddha annuel, la cérémonie qui assure le repos aux mânes de son mari défunt ? D’autre part, lorsqu’elle s’est mariée pour la première fois, le mari a reçu du père, par une sorte de manumissio spéciale, la propriété de la femme : comment un second mariage pourrait-il s’accomplir conformément aux rites, puisque le propriétaire n’est plus là qui seul aurait droit de « transmettre » sa propriété ? Mais il est vraisemblable que derrière ces raisons religieuses des raisons utilitaires se cachent[2]. On comprend que les familles ne soient pas pressées de remarier une veuve ; il leur faudrait d’abord payer une dot nouvelle ; et puis le nouveau mari n’élèverait-il pas sur les biens dont la femme jouissait avec son premier mari des prétentions contraires à l’intérêt du groupe ? Enfin et surtout, d’une manière plus générale, toutes les familles qui composent

  1. India, I, p. 425 sqq.
  2. Ibid., p. 429.