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LA VITALITÉ DU RÉGIME

s’y faire incorporer. Elles brûlent d’échanger leur indépendance sauvage contre une dignité supérieure : et elles réclament pour cette ascension le secours du Brahmane. Peu préoccupé de bouleverser leurs croyances traditionnelles, il leur apprend par-dessus tout à respecter, en même temps que sa propre supériorité, les règles de la caste. Et c’est ainsi que les tribus converties, Doms du Bihar, Gujars du Punjab, Kolis de Bombay – plus ou moins profondément hindouisées d’ailleurs[1], les unes gardant leur nom et jusqu’à leurs coutumes totémiques, les autres essayant de se rendre méconnaissables par une réforme complète – forment peu à peu sous les yeux des observateurs autant de castes nouvelles, qui s’élèvent inégalement dans la hiérarchie.

À quelle multiplicité et à quelle variété de groupements ces différents principes de division doivent donner lieu, une hypothèse imaginée par M. Risley, et appliquée aux milieux qui nous sont familiers, nous le rendra sensible. Représentons-nous la multitude des gens qui dans nos pays portent le nom de Dupuy, et imaginons qu’ils soient soumis aux règles et pénétrés de l’esprit de la civilisation hindoue. Ils se considéreraient donc comme les descendants d’un ancêtre éponyme, auquel la légende attribuerait quelque haut fait caractéristique ; et en principe, à l’intérieur de cette large famille, les mariages seraient légitimes, tout Dupuy pourrait épouser une Dupuy. En fait, cette liberté se trouverait bientôt limitée, et pour les raisons les plus diverses, ou sous les prétextes les plus bizarres. Des fossés se creuseraient non seulement entre les Du Puy en deux mots et les Dupuy en un mot, mais entre les Dupuy conservateurs et les Dupuy radicaux, entre les Dupuy du Languedoc et les Dupuy de Bretagne, entre les Dupuy brasseurs et les Dupuy viticul-

  1. India, I, p. 519, 531. Cf. Central India, XIX, p.202. Penjab, XVII, p. 319. Rajputana, XXV, p. 124. Baroda, XVIII}, p. 502.