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LA VITALITÉ DU RÉGIME

rieure, on peut dire que l’Angleterre entraîne l’Inde – qu’elles le veuillent ou non l’une et l’autre – sur les chemins nivelés du progrès occidental.

Toutefois on s’abuserait étrangement si l’on tenait pour chose faite, dès à présent, l’« européanisation » de l’Inde. Avec quelle lenteur la transformation s’accomplira, si jamais elle doit totalement s’accomplir, on le mesure aisément dès qu’on descend des prévisions a priori aux constatations objectives. Il suffit d’ouvrir au hasard les recueils décennaux dont nous parlions pour comprendre que les ouvrières de désunion, les Parques de l’Inde, sont toujours au travail. La même passion de se distinguer, la même crainte de se mêler, et de se dégrader en se mêlant animent ces micro-organismes sociaux qui sont les castes, et les poussent à se subdiviser à l’infini au lieu de s’agglomérer.

La civilisation anglaise, disions-nous, rompt sur plus d’un point la chaîne séculaire qui rattache le métier à la race. Mais croit-on que cette rupture ait pour résultat fatal la dissolution de la caste ? Bien plutôt aboutit-elle le plus souvent à la formation d’une caste nouvelle. Entre les familles qui abandonnent hardiment et celles qui conservent pieusement la vocation des ancêtres, les relations matrimoniales cessent bientôt : le cercle à l’intérieur duquel l’homme peut chercher femme, le cercle endogamique, n’en est que plus jalousement fermé.

Ce n’est pas à dire que les limites de la profession marquent en tout et pour tout les limites de la caste. On a cru pouvoir le soutenir naguère – nous l’avons vu[1] – et on espérait ainsi prouver que les castes ne sont que des ghildes pétrifiées : les nécessités, les traditions, les pro-

  1. V. plus haut, p. 37, sqq.