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LA CASTE ET L’ADMINISTRATION ANGLAISE

capable de résister jusqu’à un certain point même à la civilisation anglaise, il nous fournira ainsi une dernière preuve, et non la moins frappante de la mainmise qu’il exerce sur la civilisation hindoue.

Et à vrai dire, l’Anglais n’a jamais prétendu modifier, ou même il a souvent prétendu ne pas modifier la civilisation hindoue. Il ne s’est présenté ni comme un conquérant à proprement ni comme un missionnaire. Il a fait profession de respecter les us et coutumes, les croyances et les lois indigènes. Administrer en gouvernant le moins possible, c’était sa devise. Assurer aux hommes le minimum de sécurité et de justice indispensables à l’exploitation de la nature, à cela se bornait, déclarait-il, son ambition.

Mais, pour réaliser ce plan, il s’est trouvé que l’Angleterre débarquait sans bruit, sur la terre sacrée des Védas, toute une civilisation nouvelle avec armes et bagages. Peu d’armes en réalité, mais beaucoup de bagages : tout le matériel des inventions et des institutions européennes, toutes ces idées qui s’incarnent en des choses, qui revêtent la forme tangible de l’usine et de l’école, du bureau de poste et de la locomotive, et qui, par cela même qu’elles changent le décor de la vie, semblent capables, lentement, mais sûrement, de renouveler jusqu’au fond des âmes.

En fait, il est aisé de s’en rendre compte : l’introduction de la civilisation anglaise multiplie fatalement, pour les membres des diverses castes, les occasions de se coudoyer quoi qu’ils en aient, et d’utiliser les mêmes instruments au mépris des répulsions traditionnelles. Nous avons dit que lorsque le gouvernement voulut établir à Bombay une canalisation pour l’eau, ce fut d’abord un grand émoi : les purs et les impurs, les deux fois nés et