toute l’Inde, aux pérégrinations de l’âme de vie en vie, à la transmigration. On pourrait soutenir en effet que ce que l’Hindou craint par-dessus tout, c’est moins de mourir que de ne pas mourir ; c’est d’être condamné à renaître sous des formes variées et qui seront comme les rétributions fatales de ses œuvres.
Manou n’édicte-t-il pas que celui qui a volé du grain renaîtra sous la forme d’un rat, celui qui a volé du linge renaîtra sous la forme d’une grenouille, celui qui a pris la femme d’un autre sous la forme d’un phtisique ? Ainsi le monde est plein d’âmes, récompensées ou punies. Sa hiérarchie est l’expression d’une justice intime. La forme où je loge aujourd’hui a été préparée par mes actes antérieurs. Ce que je suis est le fruit de ce que j’ai fait. « Mes œuvres sont mon bien, mon héritage, mes œuvres sont le sein qui me porte, la race à laquelle je suis apparenté. » Telle est la théorie du Karman, à laquelle le bouddhisme aussi devait faire une large place[1].
Et à vrai dire on a observé qu’entre cette théorie et la théorie de l’âtman adoptée par un certain nombre d’écoles bouddhistes, il se révèle, au premier abord, une sorte de contradiction[2]. Le bouddhisme ne présente-t-il pas le moi comme une simple unité de composition, toute superficielle, et transitoire, analogue à l’unité d’un chariot ? Sa doctrine n’est-elle pas, encore plus qu’un athéisme, un « apersonnalisme » ? Comment donc une individualité, qui au demeurant n’est rien, peut-elle subsister à travers les changements et passer de corps en corps « comme le singe saute de branche en branche », jusqu’à ce qu’elle arrive à la libération et perde le souvenir de toute existence « comme le serpent dépouille sa peau ridée » ? Mais ne peut-on, sans postuler la persistance d’une identité proprement personnelle, admettre une sorte de transmission,