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LA VITALITÉ DU RÉGIME

sont à la foi bouddhiste ils restent encadrés dans l’organisation brahmanique.

Par où l’on voit à quel point les bouddhistes sont loin d’avoir reconstruit, sur plans nouveaux, l’édifice de la société hindoue : s’ils travaillaient à en déplacer le toit, ils ne songeaient nullement à en changer les assises.

Combien ils se préoccupaient d’ailleurs de ne point troubler l’ordre reçu, et de ne point se mettre à dos les puissances de ce monde, on s’en rendra compte si l’on se souvient des restrictions auxquelles était soumise l’admission dans leurs couvents. Le lyrisme égare leurs admirateurs lorsqu’ils nous montrent tous les sans-asile, les voleurs, les esclaves se serrant sous la robe jaune des moines bouddhistes. En réalité leur couvent reste fermé par principe non seulement aux infirmes, aux incurables, non seulement aux criminels, mais aux débiteurs en fuite, aux esclaves, aux mineurs, à tous ceux que quelqu’un pourrait réclamer et dont la présence risquerait d’allumer, sur quelque point que ce fût, un conflit entre la communauté et le siècle[1].

Se retirer du siècle, ne plus participer en aucune manière à l’illusion des vivants qui se laissent entraîner par la Roue de la vie, voilà en effet l’idéal secret de l’église bouddhiste ; et l’on comprend sans peine combien cet idéal est mal fait pour seconder une véritable réforme sociale[2]. Il ne lève pas l’étendard de la révolte : bien plutôt donne-t-il le signal de la fuite. Que parlions-nous de reconstruire l’édifice où sont distribuées les classes ? Ne serait-ce pas encore entasser des nuées ? La grande affaire est de s’évader du cycle des renaissances, non de s’installer dans la vie présente. Et ainsi le pessimisme essentiel du bouddhisme vient stériliser les germes de réformes égalitaires apportés, semblait-il, par son prosélytisme.

  1. Burnouf, Introduction, p. 290 sqq.
  2. Oldenberg, loc. cit., p. 339.