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LA VITALITÉ DU RÉGIME

Est-il vrai, d’abord, que le bouddhisme « alla au peuple » et mit sa fierté à parler aux humbles ? Le ton général de sa prédication suffirait à nous en avertir : il est malaisé de croire qu’elle s’adressait de préférence aux « pauvres d’esprit ». Le Bouddha parle, sans doute, la langue populaire de l’Hindoustan oriental, mais ses sermons gardent l’empreinte scolastique[1]. Lorsqu’il explique, avec force distinctions, comment de l’ignorance proviennent les formations, des formations la connaissance, de la connaissance le nom et la corporéité, du nom et de la corporéité les six domaines, le contact, la sensation, la soif, l’attachement, l’existence, la naissance, et par suite toute la douleur du monde, il faut pour le suivre un esprit assez tendu, et rompu à la dialectique traditionnelle. Au surplus il en fait lui-même la remarque : « Pour l’humanité qui s’agite dans le tourbillon du monde, qui a son séjour dans le tourbillon du monde et qui y trouve son plaisir, ce sera une chose difficile à embrasser par la pensée que la loi de causalité, l’enchaînement des causes et des effets. » – « C’est à l’homme intelligent, dira-t-on encore que s’adresse la doctrine, non au sot. »

En fait ce sont bien des gens cultivés, les fils des nobles familles (Kulaputtâ) dont parle le sermon de Bénarès, que nous voyons se grouper autour du Parfait. M. Oldenberg[2] relève parmi eux des nobles comme Rahoula, de jeunes Brahmanes comme Sariputta, des fils de chefs de la bourgeoisie comme Yasa ; mais en dépit de la légende d’Ânanda, pas un Tchandâla n’est mentionné. Même parmi les fidèles laïques, princes et nobles, personnages riches et haut placés, l’emportent sur les gens de peu. Si l’on ajoute que lorsqu’elle parle des naissances anté-

  1. Oldenberg, loc. cit., p. 180-200.
  2. p. 154. Fick remarquera de même que, dans les ordres bouddhiques, il est rarement fait mention du bas peuple (Die sociale Gliederung im Nordöstlichen Indien zu Buddha’s zeit), p. 51.