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LA VITALITÉ DU RÉGIME

qu’à ce résultat, de former une caste de plus[1]. Ainsi, tantôt le soc des réformateurs retombe dans les sillons déjà creusés ; tantôt il creuse des sillons nouveaux, mais qui restent parallèles aux premiers ; il ne réussit pas à recouper ceux-ci, à tracer, par-dessus, des sillons transversaux qui bouleverseraient les distinctions traditionnelles.

De même donc que les dominations politiques les plus diverses n’ont pu l’abattre, les innovations religieuses qui lui semblaient les plus contraires n’ont réussi à déraciner le régime des castes. Nous avons pris conscience de la diversité relative des idées comme de la mobilité relative des institutions hindoues. Mais cette diversité et cette mobilité restent des phénomènes superficiels ; elles n’atteignent en rien l’unité profonde maintenue par ce régime. La preuve est acquise de la souveraineté sans exemple qu’il fait peser sur l’Inde. Tout ce qui peut le servir y prospère. Tout ce qui pourrait lui nuire s’y flétrit.

À vrai dire, contre cette affirmation générale, il semble qu’un grand fait historique reste dressé ; c’est l’existence même du Bouddhisme. Il importe, pour légitimer notre thèse, de discuter spécialement ce fait et d’en définir la signification.

Nous venons d’affirmer que, dans l’atmosphère morale diffusée par le régime des castes, les idées hostiles à ce régime, en particulier les idées égalitaires, sont incapables de vivre. Et cependant sous cette même atmosphère, n’a-t-on pas vu s’épanouir, et pour tout venant, le « Lotus de la bonne loi » ? N’est-ce pas, remarquait Burnouf, une sorte d’axiome d’histoire orientale, que la mission du Bouddha a été de soulever la pierre sépulcrale qui pesait

  1. Lyall, op. cit., p. 225, 369 sqq. Risley, Tribes and Castes, p. ixxii.