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LA VITALITÉ DU RÉGIME

religion sans dogme. C’est sa souplesse même, sa plasticité, son caractère inorganique qui font sa force, non seulement conservatrice, mais conquérante. Prêtre de naissance, le « surhomme » de caste brahmanique s’inquiète peu, en somme, des préférences théologiques de ses ouailles. L’important à ses yeux c’est que l’on continue de le prendre comme intermédiaire attitré entre l’humanité et les puissances célestes (quelle que soit d’ailleurs la forme dont l’imagination les revête) ; c’est qu’on respecte pratiquement sa supériorité de race et tout le système qui assure cette supériorité : c’est-à-dire précisément le système des castes. Par l’obéissance aux règles de la caste, plus que par la fidélité à quelque dogme précis, se définit l’hindouisme. C’est pourquoi, au milieu même du flux des croyances, les scrupules traditionnels demeurent et conservent leur maîtrise. Les innovations religieuses n’atteignent pas les coutumes consacrées. Les sectes peuvent pulluler sans étioler la caste.

Toutefois, parmi tant de sectes, ne s’en trouvera-t-il pas pour donner le signal de la désobéissance à ces coutumes tyranniques, pour lever l’étendard contre le privilège de Brahmane, pour proclamer enfin, au milieu même de la civilisation qui lui semble la plus foncièrement hostile, l’idée égalitaire ? Et en effet l’hindouisme a vu naître des protestataires, des réformateurs intransigeants. Brahmanes déchus comme Bâsâva, Musulmans inspirés comme Kabir, prophètes de basse caste comme Râm-Dâss le tanneur ou Dadu le cardeur de coton, ils ont essayé, chacun à leur façon, d’émanciper ces esclaves volontaires, de réunir ces frères ennemis[1]. Celui-ci veut abolir entre les hommes toute distinction, même de costume. Cet autre traduit des livres sacrés en dialecte vulgaire et enseigne la vanité des observances extérieures.

  1. V. Barth, Religions of India, p. 238-251. Monier Williams, Hinduism, p. 136 sqq. Jogendranàth Bhattacharya, op. cit., p. 896. Lyall, op. cit., p. 55.