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LA HIÉRARCHIE DES CASTES ET LE SACERDOCE

nullement spéciales au peuple hindou : on ne peut même pas soutenir, avons-nous vu, qu’elles constituent un apanage de la race aryenne ; dans leurs traits généraux, elles font partie du patrimoine commun des peuples primitifs[1]. Les sociétés les plus complexes et les plus unifiées aujourd’hui ont passé elles aussi par le régime des clans : on trouverait à leur origine de petits groupes juxtaposés dont la religion fait la cohésion intérieure, et dont cette même religion défend la fusion.

Seulement, pour la plupart des sociétés civilisées, cette phase est toute transitoire. La religion primitive se heurte à des puissances nouvelles, qui réduisent ses attributions et triomphent de ses scrupules ; des unités politiques plus vastes englobent les premiers groupes familiaux et peu à peu les absorbent ; les anciennes barrières, abaissées d’abord sur un point, puis sur un autre, sont enfin renversées pour jamais.

C’est à ce nivellement unificateur que la civilisation hindoue a répugné, avec une force de résistance extraordinaire ; aucune unité politique n’est venue triompher, chez elle, de l’opposition mutuelle des groupes primitifs ; les exigences de la religion primitive ont continué de gou-

  1. Il faudrait donc généraliser ce que R. Smith disait du rapport des Aryens avec les Sémites : « Les différences entre les religions sémite et aryenne ne sont ni si primitives ni si fondamentales qu’on l’a cru. Non seulement en matière de culte, mais pour l’organisation sociale en général, — et nous avons vu que la religion antique n’est qu’une partie de l’ordre social qui embrasse à la fois hommes et dieux, — les deux races, aryenne sémite, commencent sur deux lignes si semblables qu’elles en sont presque indiscernables ; la divergence de leurs routes, qui devient de plus en plus manifeste avec le temps, n’est nullement affaire de race ou de tendance innée, elle dépend dans une large mesure de l’action des causes spéciales, géographiques et historiques.
    Dans les deux races, les premières phases du développement social et religieux se déroulent dans de petites communautés, dont l’organisation politique est fondée, au seuil de l’histoire, sur le principe de la parenté, dont la cohésion n’est assurée que par les liens du sang, les seuls qui vient alors une force absolue et indiscutée. » The Religion of the Semites, p. 33.