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LA HIÉRARCHIE DES CASTES ET LE SACERDOCE

retrouve de tous côtés, commandaient la spécialisation des opérateurs[1]. Ceux-ci ne manient-ils pas, quand ils entrent dans le « bac » qui fait passer du monde profane au monde sacré, des forces ambiguës, fluides à la fois les plus dangereux et les plus bienfaisants de tous ? Ils en restent chargés d’une espèce d’électricité particulière[2] (c’est la comparaison impérieusement suggérée à tous ceux qui étudient les formes élémentaires de la vie religieuse). Ils sont donc eux-mêmes plus ou moins tabous. Ils restent « consacrés[3] ».

L’habitude du sacrifice donne donc au sacrificateur comme une seconde nature. Elle le fait participer à l’essence de ces dieux qu’il met en communication avec les hommes. Pour peu que cette compénétration de la nature divine et de la nature humaine soit assez profonde, le caractère sacré de l’officiant ne s’attachera pas seulement pendant toute sa vie à sa personne, il se transmettra après sa mort à sa descendance ; étant passé « dans son sang », il deviendra comme une propriété de race.

Ainsi s’expliquerait la vertu du sang brahmanique. Il est naturel que le peuple qui a magnifié plus que tout autre l’action du sacrifice sur l’ordre du monde[4] ait aussi regardé comme particulièrement prégnante la réaction exercée par le sacrifice sur le sacrificateur. Celui qui parle aux dieux apparaît dieu lui-même : celui qui allume le feu sacré devient âgneya, participe à la nature du feu. Dans ces idées sur lesquelles reposent la supériorité infinie des Brahmanes et par suite la hiérarchie même des castes

  1. V. à ce sujet les remarques d’Oldenberg, Zeitschrift der D. M. G., 1897, p. 374, en note.
  2. C’est de ce fait que Frazer énumère les diverses conséquences dans le Rameau d’or. Études sur la magie et la religion, tome I, trad. fr. Paris, Schleicher, 1903.
  3. Une preuve que cette consécration est pour le Brahmane une sorte d’état normal, c’est qu’il n’a pas besoin pour « entrer » dans le sacrifice, sauf dans des circonstances extraordinaires, de préparation spéciale (v. Mauss et Hubert, Année sociologique, II, p. 53).
  4. Voy. Bergaigne, La Religion védique d’aprés les hymnes du Rig Véda. Paris, Vieweg, 1878, tome I, introduction. V. plus bas, p. 255 et suiv.