que celle-ci est « gardienne du sacrifice ». Là est sans doute la source profonde de ses privilèges.
Pour le comprendre, il faut se rappeler les idées primitives sur la nature du sacrifice et les qualités du sacrificateur. On sait que le sacrifice, destiné à mettre en communication les hommes et les dieux, revêt celui qui l’accomplit d’un caractère particulier : le sacrificateur devient un être lui-même « sacré » : à la fois adorable et redoutable[1]. Ce caractère, il le possède sans doute au plus haut degré au moment où il sacrifie, mais il ne le perd pas aussitôt. Les cérémonies qui accompagnent d’ordinaire la « sortie » du sacrifice prouvent qu’il ne semble pas toujours facile de se dépouiller de la nature spéciale qu’on y a contractée. C’est sans doute le sentiment de cette difficulté qui amène les peuples à spécialiser la fonction de sacrificateur.
Avec nos idées modernes, nous sommes portés à expliquer cette spécialisation par la seule complication croissante des rites. Et en fait, il devenait sans doute de plus en plus malaisé d’accomplir sans une éducation technique toutes les opérations exigées pour agir sur la volonté des dieux[2]. Des praticiens seuls, véritables « médecins du sacrifice », surveillant la complexité infinie des manipulations et des récitations, en pouvaient réparer le mécanisme « comme on articule un membre à un autre, ou comme on rattache avec un cordon des pièces de cuir »[3].
Mais en outre de ces nécessités matérielles, des sentiments moraux, répondant à des idées primitives qu’on
- ↑ Voy. dans l’Année sociologique, II, l’Essai sur la nature et la fonction du sacrifice de MM. Mauss et Hubert.
- ↑ D’autant que ces opérations variaient beaucoup, dans le détail, avec les demandes. V. S. Lévi, La Doctrine du sacrifice dans les Brâhmanas, Paris, Leroux, 1898, p. 123. Plusieurs auteurs attribuent une influence décisive, pour la formation du métier de prêtre, à ces questions de technique. V. par ex. Macdonell, A History of sanskrit Literature, 1900, p. 160. Deussen, Allgem. Gesch. der Philos., I, p. 169. Dutt, Ancient civilization of India, I, p. 230. Baines, art, cit., p. 663.
- ↑ Oldenberg, Religion du Véda, p. 337.