Page:Boufflers - Oeuvres - 1852.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
37
ALINE.

me conduisit ici et me fit apprendre la langue du pays, dans laquelle je fis en peu de temps de grjnds progrès. J’avais connu la misère, mais point le malheur, et je ne pus supporter l’esclavage : je me sauvai de chez mon maître sans savoir où j’allais ; je fus rencontrée par des eunuques qui, me trouvant belle, m’amenèrent au roi. J’eus beau demander grâce pour ma vertu, je fus enfermée dans le sérail, et, dès le lendemain, je reçus de tout ce qui m’entourait les honneurs de sultane favorite, que le roi m’avait accordés pendant la nuit. Bientôt la passion du roi n’eut plus de bornes, et mon autorité n’en eut pas davantage. La Golconde, accoutumée aux arrêts que je dictais au fond du sérail, me vit sans étonnement devenir l’épouse du souverain, qui n’était depuis longtemps que mon premier sujet. Je me suis ressouvenue dans mon palais de ce petit village où j’avais conservé mon innocence, et surtout de ce charmant vallon où je la perdis ; j’ai voulu retracer à mes yeux l’imagé intéressante de mes premières années et de mes premiers plaisirs. C’est moi qui ai bâti ce hameau que vous avez vu dans l’enceinte de mon parc ; il porte le nom de mon ancienne patrie, et tous ses habitants sont traités comme mes parents et mes amis. Je marie tous les ans un certain nombre de leurs filles, et souvent j’admets les vieux d’entre eux à ma table pour me retracer le tableau de mon vieux père et de ma pauvre mère, que j’aimerais à respecter si je les possédais encore. Les herbes de la prairie ne sont jamais foulées que par les danses des jeunes garçons et des jeunes filles du hameau ; la cognée respectera tant que je vivrai ces arbres imitateurs de ceux qui prêtèrent leur ombre à nos amours ; et mes habits de paysanne, conservés avec mes ornements royaux, ne cessent, au milieu de l’éclat qui m’environne, de me rappeler ma