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BOUFFLERS.

avec vous du poids de sa couronne en reprenant son pot au lait : vous lui avez rendu l’état de laitière plus doux que celui de reine. J’oubliai la reine de Golconde, et je ne vis qu’Aline. Nous étions tête à tête. Alors les reines sont des femmes : je retrouvai ma première jeunesse, et je traitai Aline comme si elle avait conservé la sienne, parce que les reines sonttoujours censées ne la perdre jamais.

Après cette agréable reconnaissance, Aline reprit ses habits de reine, qu’une esclave de confiance, qui l’avait suivie, lui apporta. Nous rentrâmes dans le palais, où je lui vis recevoir toute sa cour avec une grâce et une bonté qui charmaient tout ce qui l’approchait. Elle regardait les uns, parlait aux autres, souriait à tous ; en un mot, elle avait bien l’air d’être maîtresse de tout le monde, mais elle ne paraissait la reine de personne.

Après le dîner, pendant lequel tout le monde mangea avec elle, je la suivis dans une salle séparée, où, m’ayant fait asseoir à côté d’elle, elle me conta ainsi ses dernières aventures :

— Le marquis de Castelmont fut tué en duel environ trois mois après votre départ, et il laissa sa veuve éplorée avec quarante mille écus de rente pour toute consolation. Une partie de ses biens était en Sicile, et demandait, disait-on, ma présence. Je m’embarquai avec joie pour ce voyage. Mais un vent contraire força ma frégate de relâcher sur une côte éloignée, où un vaisseau encore plus contraire la prit et l’emmena. C’était un corsaire turc, dont le capitaine fit à l’équipage tous les mauvais traitements, et à moi tous les bons dont les Turcs sont capables ; il me conduisit à Alger, de là à Alexandrie, où il fut empalé. Je fus vendue comme esclave avec toute sa maison, et tombai en partage à un marchand mogol qui