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BOUFFLERS.

et, comme vous aviez eu pour successeur immédiat le curé du lieu, votre fils lui échut en partage. Il en a fait depuis un très-joli, enfant de chœur. Ma tante, espérant que ma beauté lui serait encore plus utile dans une grande ville, me mena à Paris, où, après avoir passé dans plusieurs mains différentes, je tombai dans celles d’un vieux président ; une des premières personnes de l’État pour la dignité était une des dernières pour l’amour, et il se trouvait réduit à bien peu de chose quand il était dépouillé de sa perruque, de sa simarre et de son portefeuille. Cependant le peu qui en restait m’aima à la folie, et nous combla, ma tante et moi, d’argent et de pierreries. Ma tante mourut ; j’en héritai : j’avais environ vingt mille livres de rente et beaucoup d’argent comptant : je trouvai le métier que j’avais fait jusqu’alors ennuyeux ; je voulus faire celui d’honnête femme, qui a aussi son ennui. Pour quelques louis que je donnai à un généalogiste, je fus une fille d’assez bonne maison. Quelques liaisons que je formai avec des gens de lettres me valurent la réputation d’esprit, peut-être même un peu d’esprit. Enfin un homme de naissance, riche de plus de cent mille livres de rente, crut faiblement payer ma vertu en m’épousant, et la pauvre Aline est à présent pour le public la marquise de Castelmont ; mais pour vous la marquise de Castelmont veut toujours être Aline.

— Et qui avez-vous plus aimé, lui dis-je, de tout ce que vous avez connu ? — Pouvez-vous me le demander ? me répondit elle ; j’étais simple quand vous m’avez vue, et je ne l’étais plus quand j’en ai vu d’autres. J’avais commencé à me parer, je n’étais plus si belle ; j’avais besoin de plaire, je ne pouvais plus aimer. L’art nuit à tout : le rouge que nous mettons décolore nos joues ; les sentiments que nous affectons refroidissent nos cœurs.