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ALINE.

passait au dedans de moi, je me levai pour aller à sa rencontre. Chaque pas que je faisais l’embellissait à mes yeux, et bientôt j’eus regret à tous ceux que j’aurais pu faire pour lavoir plus tôt. La Géorgie et la Circassie ne produisent que des monstres en comparaison de ma petite laitière, et jamais une créature aussi parfaite n’avait orné l’univers. Ne sachant quel compliment lui faire pour entrer en conversation avec elle, je lui demandai à boire un peu de son lait pour me rafraîchir. Je lui fis ensuite quelques questions sur son village, sur sa famille, sur l’âge qu’elle avait. Elle répondit à tout avec la simplicité de son âge ; et, comme elle avait une fort jolie bouche, je lui trouvai beaucoup d’esprit.

Je sus qu’elle était du hameau voisin, et qu’elle s’appelait Aline. — Ma chère Aline, lui dis-je, je voudrais bien être votre frère (ce n’est pas cela que je voulais dire). — Et moi, je voudrais bien être votre sœur, me répondit-elle. — Ah ! je vous aime pour le moins autant que si vous l’étiez, ajoutai-je en l’embrassant. Aline voulut se défendre de mes caresses, et, dans les efforts qu’elle fit, son pot tomba, et son lait coula à grands flots dans le sentier. Elle se mit à pleurer, et, se dégageant brusquement de mes bras, elle ramassa son pot et voulut se sauver. Mais, en courant, son pied glissa sur la voie lactée, elle tomba à la renverse ; je volai à son secours, mais inutilement : une puissance plus forte que moi m’empêcha de la relever, et m’entraîna dans sa chute. J’avais quinze ans, et Aline quatorze : c’était à cet âge et dans ce lieu que l’Amour nous attendait pour nous donner ses premières leçons. Mon bonheur fut d’abord trouble par les pleurs d’Aline ; mais bientôt sa douleur fit place à la volupté, elle lui fit aussi verser des larmes. Et quelles larmes ! ce fut alors que je connus vraiment le