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Bientôt, soit force, soit adresse,
Elle comprit que je l’aimais.
Une aveugle qu’on aime aurait tort d’être fière ;
Sur la mienne j’obtins une victoire entière ;
L’amour sur tous ses sens étendit son pouvoir :
Tout m’adorait en elle, et tout disait j’adore :
Ses yeux seuls ignoraient encore
L’art d’aimer comme l’art de voir.
Des yeux l’amour fait grand usage ;
On sait, lorsque l’on est ou que l’on fut amant,
Qu’ils font la moitié de l’ouvrage ;
Mais, belles, convenez que l’on s’en dédommage
( Par mille petits riens qui parlent clairement :
Des mots qu’on entrecoupe, un son de voix qu’on baisse,
Un soupir qu’à propos on pousse en vous parlant,
Une main qu’on vous serre, un genou qu’on vous presse,
Un timide baiser qu’on donne et qui se rend,
Valent bien ces regards que l’on nous vante tant ;
L’amour aux yeux bandés vaut l’amour clairvoyant.
L’amour est un trésor ; mais, dans sa douce ivresse,
Le cœur n’est content qu’à demi ;
C’est beaucoup d’avoir sa maîtresse,
Mais il faut encore un ami.
J’en avais un beau, jeune et sage ;
Nous avions même état, même âge,
Son cœur et le mien n’étaient qu’un ;
Nous recevions du sort volage
Nos biens et nos maux en commun.
Ses goûts étaient les miens ; ma gloire était la sienne ;
Il était mon conseil, et je me trouvais mieux
De sa raison que de la mienne.
En amitié quoi qu’il survienne,
S’il faut délibérer, au lieu d’un l’on est deux ;
Fort souvent, pour bien voir, il faut plus de deux yeux.
« Ami, lui dis-je un jour, je voudrais pour ma femme
Prendre l’aveugle objet de mon aveugle flamme ;