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CONTES EN VERS.



L’OCULISTE.


Je suis un oculiste habile ;
Mais je dois mon malheur à l’étude des yeux ;
L’espérance d’en sauver deux
M’en a fait crever plus de mille.
Je pleure ceux que j’ai sauvés,
Et non pas ceux que j’ai crevés.
J’aimais, j’étais aimé : c’en est assez sans doute ;
Mais l’objet que j’aimais, que je hais aujourd’hui,
Ressemblait à l’Amour, était fait comme lui,
Et comme lui n’y voyait goutte.
Ses beaux yeux confondaient le jour avec la nuit ;
Un voile intérieur baissé sur sa prunelle
Ne rendait pas ma belle à tous les yeux moins belle ;
On l’aimait sans qu’elle le vît ;
Elle ne le savait que quand on l’avait dit :
Le langage des yeux était muet pour elle.
Le ciel, de tous nos biens dispensateur exact,
Au lieu de deux bons yeux avait daigné lui faire
Le don d’un esprit net, d’une mémoire claire,
D’une oreille très-fine, et surtout d’un bon tact.
Ce fut là ma ressource auprès de ma maîtresse :
Quand on sait plaire au tact, le reste suit de près,