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ma pensée, comme l’espérance au fond de la coupe de tous les maux.


Ce 27. — Les pansements, les onguents, les coups de lancette dans les abcès, tout cela va son train ; je souffre toujours plus, mais on me dit toujours que je vais souffrir moins et je m’y laisse toujours attraper. C’est une bonne chose que la bêtise ; sans elle le genre humain périrait par un suicide général. En attendant que mon pistolet soit chargé, je te baise de tout et de tout mon cœur.


Ce 28. — Je souffre toujours à peu près autant, ma bonne femme ; à mesure qu’un mal diminue, l’autre augmente, et la patience et la gaieté et la philosophie sont en défaut. Notre âme est un sot enfant et notre corps une vilaine poupée (je parle du mien exclusivement). Si par hasard la poupée tombe, si elle se démonte, si elle se gâte, l’enfant se met à pleurer ; il est vrai qu’on l’en console en lui en achetant une autre et c’est ici où ma comparaison cesse d’être juste, car je ne sais pas où l’on trouve de quoi dédommager l’âme de la perte du corps ; cependant je le crois sans en imaginer le moyen. Ceci n’est qu’un bal, nos corps sont des masques, la plupart de nos amitiés finiront avant ou avec le bal, mais il y a telle liaison qui durera plus longtemps parce qu’on s’est démasqué l’un pour l’autre et qu’on s’est montré et qu’on s’est vu et qu’on s’est plu sous ses véritables traits. Voilà les vraies passions qui dureront plus et bien plus que la vie ; j’en appelle à ma femme.


Ce 29. — Je commence à respirer, c’est-à-dire que j’ai la volupté de Socrate, celle de moins souffrir.