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Voyons le cap de Serre Lionne qui s’élève plus haut que toutes les montagnes d’Ardennes, couvert de palmiers et d’autres arbres toujours verts. On voit différentes chaînes qui se reculent en s’élevant, et, si je puis jamais parvenir à la cime, je ne désespère pas de trouver au milieu du brasier du monde une température digne des plus beaux climats de l’Europe. Mais, avant de monter là, il faut descendre d’ici et nous n’en prenons pas le chemin, car nous allons jeter l’ancre, pour n’être pas conduits par des courants cachés sur des bancs ou sur des écueils. Ce qu’il y a de pire c’est que nos câbles ne valent plus rien et que nous ne saurions que devenir s’ils allaient casser, mais je ne suis pas malheureux et M. Detella n’est pas un menteur et je n’oublie pas que nous avons quelque chose à nous dire avant ma mort.


Ce 31. — Nous avons pensé périr ce matin, ma bonne femme, et si notre bon capitaine ne s’était point défié de la bêtise et de l’opiniâtreté de notre maudit pilote nègre, nous étions jetés sur les bancs du milieu de la rivière et jamais aucun de nous n’aurait revu ses rives natales. J’aurais sans doute été le plus malheureux, car personne d’ici n’a rien à revoir d’aussi joli que ce que je verrai. Nous avons mouillé précipitamment au moment de toucher ; nous étions à la vue de plusieurs vaisseaux, tant anglais que français, nous avons tiré du canon et fait d’autres signaux de détresse ; on est sur-le-champ venu à notre secours et les officiers des différents vaisseaux se sont fait un plaisir de nous conduire dans cette belle rivière, où chaque lieue nous met dans une nouvelle extase. Il semble que la