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plus heureux après quarante ans qu’auparavant. Ce n’est pourtant ordinairement pas l’âge des plaisirs ; mais les vrais plaisirs n’ont point d’âge : ils ressemblent aux anges, qui sont des enfants éternels ; ils te ressemblent, à toi qui charmeras et aimeras toujours. Ainsi ne nous attristons point, ou si nos réflexions nous affectent malgré nous, tirons-en du moins des conclusions consolantes en pensant que nous n’avons perdu que le faux bonheur, que le véritable nous reste encore, que notre esprit est capable de le connaître, et que notre cœur est digne d’en jouir. C’est à moi que je parle, mon enfant, et non à toi qui, d’après mes exploits prématurés, pourrais être ma fille. La morale de tout cela est qu’il nous faut une retraite pour cacher ma vieillesse prochaine et les soins assidus qu’elle attend de toi, et nous montrerons à tout ce qui voudra nous y chercher que Philémon et Baucis n’étaient point une fable, mais une prophétie. En attendant qu’elle s’accomplisse, je mets de côté une bonne trentaine d’années pour te baiser, comme si je n’en avais que dix-huit.


Ce 9. — Le calme nous a repris à midi et semble ne vouloir pas nous quitter de longtemps. Nous sommes à vingt-cinq lieues du tropique, et nous commençons déjà à souffrir de la chaleur. Indépendamment de la mauvaise disposition où je suis depuis longtemps, le soleil m’a donné la migraine, ce qui diminue encore plus mon courage que cela n’ajoute à mes souffrances ; mais comme dans les bons moments il faut tout craindre du temps, il en faut tout attendre dans les mauvais. Tout passe, voilà ma philosophie, voilà ce qu’il faut que les