Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

absence et pour répondre à mille demandes ou questions toutes moins raisonnables les unes que les autres. C’est dans ces tristes moments-ci que ma femme à mes côtés me serait bien nécessaire pour éclairer mon esprit avec le sien et mettre sa philosophie au bout de la mienne. Mais elle n’y est pas et Dieu sait quand nous nous verrons.


Ce 2. — Toujours mêmes inquiétudes, toujours mêmes souffrances ; cependant j’ai mieux dormi cette nuit que je n’avais fait depuis longtemps, ce qui me fait espérer que mes forces dureront plus que mon courage et que je durerai d’abord jusqu’à ce que je parte et puis jusqu’à ce que je te voie. Alors je trouverai sinon l’immortalité au moins le rajeunissement. Mes travaux continuent toujours et même avec plus d’activité que jamais, parce que je viens de distribuer des terrains gratis à la condition de les enclore et de les bâtir sur-le-champ ; et par cette précaution-là j’anime un peu l’inertie africaine et je vois une nouvelle Salente se lever sous mes yeux. Mais je ne m’y attache point assez pour la regretter, quand il sera question d’aller te rejoindre.


Ce 3. — Encore rien à l’horizon ; il est vrai que les vents sont si violents et si contraires qu’il n’y a rien à espérer jusqu’à ce qu’ils aient changé. En attendant, j’ai toujours mes Indiens et mes Indiennes au nombre de dix ou douze sur les bras et mes trois braves Suédois, qui font un renfort de quinze couverts à mon petit ordinaire. Tu ne t’attends pas à me voir revenir bien riche, mais tu me recevras et même tu seras assez bête pour me priser comme je serai ; tu n’as pas plus besoin de mon argent que